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Des outils vieux de 250 000 ans découverts à Hueyatlaco, au Mexique

Dans les années soixante, des outils de pierre élaborés rivalisant avec le travail le plus accompli de l’Homme de Cro-Magnon en Europe furent exhumés par Juan Armenta Camacho et Cynthia Irwin-Williams à Hueyatlaco, près de Valsequillo, à cent vingts kilomètres au sud-est de Mexico.

Un outillage lithique de nature un peu plus grossière fut retrouvé sur le site voisin d’El Horno. À Hueyatlaco comme à El Horno, la position stratigraphique des objets ne semble pas être remise en cause. Toutefois, ces artefacts ont une caractéristique très controversée : une équipe de géologues employés par le Service de recherches géologiques leur a donné un âge de quelque 250 000 ans. Cette équipe, subventionnée par la National Science Foundation, était composée de Harold Malde et de Virginia Steen-McIntyre, tous deux du Service de recherches géologiques des États-Unis, et de Roald Fryxell de la Washington State University.

Carte du site archéologique de Hueyatlaco

Si l’on en croit ces géologues, quatre méthodes différentes de datation ont produit des âges inhabituellement élevés pour les artefacts trouvés près de Valsequillo. Les méthodes utilisées étaient la datation par les séries de l’uranium, la datation par les traces de fission, la datation par l’hydratation des téphras, et l’étude de l’érosion minérale.

Comme on l’imagine, cette date d’environ 250 000 ans avant notre époque a suscité d’énormes controverses. Si elle avait été acceptée, elle aurait révolutionné non seulement l’anthropologie du Nouveau Monde, mais toute l’histoire des origines de l’humanité.

Des êtres humains capables de façonner des outils élaborés comme ceux trouvés à Hueyatlaco ne sont censés être apparus que voici 100 000 ans en Afrique. Lorsqu’elle voulut faire publier les conclusions de son équipe, Virginia Steen-McIntyre se heurta à toutes sortes de pressions sociales et d’obstacles.

Dans une note adressée à un collègue (10 juillet 1976), elle déclarait : « J’ai appris grâce à quelques indiscrétions que dans certains cercles, Hal, Roald et moi, nous sommes considérés comme des opportunistes en mal de publicité à cause de Hueyatlaco, et je n’ai pas encore encaissé le coup. »

La publication d’un article de Steen-McIntyre et de ses collègues sur Hueyatlaco fut inexplicablement retardée pendant des années. Leur communication fut présentée pour la première fois lors d’une conférence d’anthropologie en 1975 et aurait dû paraître dans un volume reprenant les actes du colloque.

Quatre ans après, Virginia Steen-McIntyre écrivait à H.J. Fullbright du Laboratoire scientifique de Los Alamos, l’un des éditeurs du livre toujours à paraître : « Notre article conjoint sur le site de Hueyatlaco est une véritable bombe. Il ferait remonter la présence de l’homme au Nouveau Monde dix fois plus loin dans le temps que de nombreux archéologues ne voudraient l’admettre. Pire : les bifaces découverts in situ sont généralement regardés comme un signe de l’Homo sapiens. Selon la théorie actuelle, l’Homo sapiens n’était même pas encore apparu à l’époque, et certainement pas au Nouveau Monde. »

Elle ajoutait : « Les archéologues sont absolument révulsés par Hueyatlaco. Ils ne veulent même pas en entendre parler. J’ai appris par la bande que j’étais considérée par divers membres de la profession comme une incompétente et une opportuniste. Il est clair qu’aucune de ces opinions ne favorise ma réputation professionnelle ! Mon seul espoir de réhabilitation est de faire publier l’article sur Hueyatlaco pour que les gens puissent juger les faits par eux-mêmes. »

Comme elle ne recevait aucune réponse à cette lettre et à d’autres demandes d’information, Virginia Steen-McIntyre retira l’article. Mais son manuscrit ne lui fut jamais renvoyé. Un an plus tard (le 8 février 1980), elle s’adressait à Steve Porter, rédacteur en chef de Quaternary Research, dans l’espoir de faire paraître son article sur Hueyatlaco. « Le manuscrit que je désire soumettre présente les faits géologiques, écrit-elle. Il est assez clair, précis et, n’était le fait qu’il faudrait réécrire un grand nombre des manuels d’anthropologie, je ne pense pas que nous aurions la moindre difficulté à le faire accepter par les archéologues. Tel qu’il est, en tout cas, aucun journal d’anthropologie ne voudra y toucher, même avec des pincettes. »

gravure-mexique-Hueyatlaco

Dans sa réponse (le 25 février 1980), Steve Porter se disait prêt à envisager de publier l’article controversé. Mais il ajoutait qu’il pouvait « bien imaginer qu’il sera un peu difficile d’obtenir de certains archéologues des notes de lecture objectives ».

La procédure habituelle pour les publications scientifiques est de soumettre un article à plusieurs autres scientifiques pour une évaluation anonyme. On imagine sans peine comment les gardiens d’une certaine orthodoxie retranchés dans leurs convictions pourraient manipuler cette procédure pour tenir à l’écart des journaux scientifiques une information indésirable.

Le 30 mars 1981, Virginia Steen-McIntyre écrivait à Estella Leopold, la secrétaire de rédaction de Quaternary Research :

« Le problème, à ce que je vois, déborde largement du cadre de Hueyatlaco. Il concerne la manipulation de la démarche scientifique par la suppression des “données énigmatiques”, données qui remettent en cause le mode de pensée dominant. C’est certainement le cas de Hueyatlaco. N’étant pas anthropologue, je n’ai pas saisi en 1973 toute la signification de nos datations, ni la profondeur des ramifications de la théorie actuelle de l’évolution humaine dans nos activités intellectuelles. Notre travail à Hueyatlaco a été rejeté par la plupart des archéologues parce qu’il est en contradiction avec cette théorie, un point c’est tout. Leur raisonnement est circulaire. H. sapiens sapiens est apparu voici environ 30 000 à 50 000 ans en Eurasie. Donc toute découverte de H.s.s. vieux de 250 000 ans au Mexique est impossible parce que H.s.s. est apparu voici environ 30 000 etc. Avec cette façon de penser, on a peut-être des archéologues satisfaits, mais aussi une science pouilleuse ! »

Virginia-Steen-McIntyreQuaternary Research a fini par publier (en 1981) un article de Virginia Steen-McIntyre, Roald Fryxell et Harold E. Malde qui soutenait que le site de Hueyatlaco était vieux de 250 000 ans. Bien sûr, il est toujours possible de contester une datation archéologique et c’est ce qu’a fait Cynthia Irwin-Williams dans une réponse à cet article.

Ses objections ont été réfutées point par point dans une réplique signée Malde et Steen-McIntyre. Mais Cynthia Irwin-Williams n’en démordait pas. À l’instar de la communauté archéologique américaine en général, elle a continué à rejeter la datation de Hueyatlaco proposée par Steen-McIntyre et ses collègues.

Les découvertes anormales de Hueyatlaco ont débouché sur des vexations personnelles et des déboires professionnels avec, dans le cas de Virginia Steen-McIntyre, la perte de subvensions, d’un emploi, des moyens mis à sa disposition et de sa réputation. Cet exemple illustre remarquablement les mécanismes sociaux de suppression des données en paléoanthropologie, avec tout ce que cela suppose de conflit et d’amertume.

Bibliographie et liens complémentaires :

  • « L'Histoire secrète de l'espèce humaine » de Michael Cremo et Richard Thompson, Editions du Rocher, 2002, pp. 104-108.
  • Dossier sur Hueyatlaco dans la revue Pleistocene Coalition mai-juin 2011 (en anglais) pleistocenecoalition.com/newsletter/may-june2011.pdf
  • Dossier sur Hueyatlaco dans la revue Nexus de 1998 (en anglais) pleistocenecoalition.com/steen-mcintyre/Nexus_article.pdf
  • C. Irwin-Williams : Le site de Hueyatlaco, Valsequillo, Puebla, Mexique, Communication orale au colloque XVII, Les habitats humains antérieurs à l'Holocêne en Amérique. IXeme Congrès de l'Union Internationale des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques, Nice, 13-18 Septembre 1976, communication orale.
  • B.J.  Szabo, H.E. Malde, et C. Irwin-Williams : « Dilemma Posed By Uranium-Series Dates On Archaeologically Significant Bones From Valsequillo Puebla Mexico », in Earth and Planetary Science Letters, Volume 6, Pages 237-244, Jul 1969.
  • Virginia Steen-McIntyre, Roald Fryxell et Harold E. Malde : « Geologic Evidence for Age Deposits at Hueyatlaco Archaeological Site Valsequillo Mexico », in Quaternary Research 16: 1–17, 1981.

Illustrations :

  • 1) Carte du site archéologique de Hueyatlaco (s.Nexus)
  • 2) Gravures découvertes par Juan Armenta Camacho sur le site
  • 3) Virginia Steen-McIntyre sur le site

+ de photos Pleistocenecoalition.com/steen-mcintyre/STEEN-McINTYRE_HOUSTON_GSA_2008.pdf

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