Longévité extraordinaire des graines du Lotus sacré

Article tiré de la revue La Nature, Nº 3201, janvier 1952, p. 24.

En 1933, on vit fleurir dans les fameux jardins royaux de Kew des plants de Lotus sacré (Nelumbo nucifera) provenant de fruits qu'un botaniste japonais Ichiro Ohga avait trouvés dix ans auparavant dans la couche de tourbe d'un lac de Mandchourie depuis bien longtemps desséché et couvert de loess. D'autres fruits de même origine avaient été remis aux États-Unis et on en a vu germer à Washington en mars dernier.

0023.T.24.1040.1455Ces lotus sacrés, malgré leur nom, sont très différents des lotiers (Lotus) qui sont des Papilionacées. On en connaît deux espèces, l'une d'Asie, l'autre d'Amérique, du genre Nelumbo, dont on a fait la petite famille des Nélombées, voisine des Nénuphars et des Nymphéas. Comme ceux-ci, les Nelumbo sont des plantes aquatiques mais à feuilles peltées comme les capucines; leurs fleurs ont quatre sépales seulement, comme les Nymphaea, les Victoria, mais leurs carpelles, enfoncés isolément dans le réceptacle, n'ont qu'un seul ovule pendant. Les tiges et les racines présentent de grands espaces pleins d'air ou d'eau et des vaisseaux fermés très longs, atteignant 12 cm. Les fruits, gros comme des noix, sont couverts d'une enveloppe très dure, imperméable à l'air et à l'eau, et ne germent que lorsque celle-ci est brisée ou ramollie.

Des fruits de Nelumbo, vieux de 150 ans, avaient germé, d'après l'observation de Robert Brown, et Becquerel avait signalé en 1933 d'autres fruits, germant après 56 ans. Ce sont là des longévités exceptionnelles, approchant du record actuel, celui de deux graines de Cassia multijuga, une Légumineuse, ayant germé en 1934, après un repos de 158 ans. Brocq-Rousseu et Gain ont bien trouvé aussi des diastases actives dans des graines de l'herbier de Tournefort, du XVI° siècle, mais sans que ces graines puissent encore germer. Et l'on sait aussi que les blés des Pharaons et autres céréales trouvées vivantes dans des pyramides ou des sépultures d’Égypte et dont on parle périodiquement ne sont que des graines introduites récemment en fraude dans les monuments anciens pour l'ébahissement des touristes; aucun grain découvert dans des fouilles d'hypogées intacts n'a jamais germé et n'a même plus de ferments actifs. La plupart des grains de céréales ne conservent leur pouvoir germinatif que dix ou vingt ans au plus. On sait que d'autres graines ont une longévité bien plus courte : ainsi les graines de café, de cacao ne restent plus vivantes au bout d'un mois.
Le cas des fruits de Lotus sacré mandchourien, germés en Angleterre et aux États-Unis, devait donc attirer l'attention.

Le paléontologiste de l'Université de Californie, Ralph W. Chaney posa le problème de leur âge dans une étude parue au Garden Journal of the New-York Botanical Society en septembre dernier, que résume notre confrère anglais Nature. Pour lui ils avaient gardé leur vitalité pendant 400 ans au moins et peut-être même quelques millénaires. Se basant sur les données de leur découvreur japonais Ohga, il les voyait provenir de plantes ayant vécu dans un lac de la Mandchourie du sud, long d'un mille à peu près; elles étaient tombées sur le fond parmi des débris d'autres plantes aquatiques qui avaient fini par former une couche épaisse de tourbe. Ce dépôt et sa transformation auraient demandé plusieurs siècles. Plus tard, le lac se serait asséché ou vidé et les vents du désert de Gobi auraient recouvert le fond tourbeux d'une couche de loess épaisse de plus d'un mètre.

Le géologue japonais Endo a attribué le dépôt de loess au pléistocène, ce qui daterait de quelque 50 000 ans la couche de tourbe et les fruits de Nelumbo et rendrait ceux-ci contemporains ou presque du Pithécanthrope. Mais cela paraît extraordinaire aux botanistes habitués à compter la longévité des graines par mois ou par an et qui n'ont pas dépassé le maximum d'un siècle et demi. Certes, le fruit du lotus sacré est enveloppé dans une coque épaisse et imperméable; certes, sans eau, sans humidité, il ne subit aucune action chimique ou diastasique et sans air, sans oxygène, il ne brûle pas intensément ses réserves; mais le bond qu'on propose ainsi vers les graines préhistoriques encore vivantes est vraiment prodigieux.

Puisqu'on peut maintenant dater approximativement les végétaux anciens par le comptage des particules qu'émet encore l'isotope 14 du carbone qu'ils contiennent, il était naturel de confier quelques échantillons des fruits en litige au laboratoire spécialisé de l'Université de Chicago, dont La Nature a déjà parlé. Le Dr W. F. Libby, qui le dirige, vient de publier dans Science le résultat de ses mesures : 1 040 ans, à 210 ans près en plus ou en moins.

Des fruits vivants après dix siècles ! Les recherches continuent et on en reparlera.

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