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Enquête historique sur le légendaire serpent de mer

Sur les cartes et manuscrits du Moyen Age, des centaines de dessins montrent des hommes et des embarcations soulevés entre ciel et mer par de gigantesques appendices en forme de serpent. A ces époques obscures, de nombreux auteurs font des descriptions terrifiantes de monstres marins.

Il est difficile de savoir jusqu’à quel point ces récits rapportent des faits exacts. L’imagination ou l’exagération y a sans doute une grande part...

Ainsi par exemple, l’archevêque suédois Olaus Magnus (Olof Mansson, 1490-1557) dans son Historia de Gentibus Septentrionibus publiée à Rome en 1555, décrit un animal long de 70 mètres « à l’étonnante crinière et aux yeux flamboyants » qui décime la faune sous-marine et se rue sans hésiter sur les vaisseaux pour se saisir des matelots qu’il engloutit aussitôt.

serpent de mer carta marina

Un autre prélat Scandinave, Pontoppidan, décrit, dans son Histoire Naturelle de la Norvège, « un monstre dont les bras sont plus gros que le plus robuste grand mât d’un voilier et assez puissants pour renverser une embarcation armée de 100 canons et l’entraîner au fond des abysses ».

Dans les temps modernes, le monstrueux serpent de mer finit cependant par rejoindre, dans la zoologie pour rire, la licorne et la cigogne porteuse de bébé. C'est pourquoi l'ouvrage important du savant hollandais Anthonie Cornelis Oudemans fit sensation en 1892, quand il prit nettement position en faveur du serpent de mer, tout en signalant que le mot « serpent » était une erreur et qu’il s’agissait tout au plus d’une sorte de phoque géant, inoffensif, jusqu'alors inconnu.

oudemansOudemans avait réuni dans son livre cent quatre-vingt-sept relations différentes sur le fameux serpent de mer, et, s'il était évident que tous ces témoignages ne constituaient pas des preuves d’égale valeur, bon nombre d’entre eux étaient manifestement plus que des produits de l’imagination ou des observations erronées. Il y avait là des déclarations de témoins oculaires sérieux s’accordant à signaler l’apparition d’un monstre marin semblable à un serpent et les circonstances de ces observations excluaient généralement l’illusion ou l’erreur.

Voici quelques-unes des relations les plus significatives :

Le 6 juillet 1734, le missionnaire danois Paul Egede, naviguant au large du Groenland par soixante-quatre degrés de latitude nord, aperçoit l’animal fabuleux qu’un de ses collègues s’empresse de dessiner et que lui nous décrit comme suit : « Nous avons vu ici une bête terrible, comme jamais encore on n’en put apercevoir : elle se dressa au-dessus des flots et sa tête parut dépasser la hune de notre navire. Son souffle était moins puissant que celui de la baleine. La tête était plus étroite que le corps qui paraissait mou et ridé, avec de larges nageoires pendant sous le ventre. Nous aperçûmes peu après la queue du monstre : sa taille dépassait de beaucoup la longueur d’un navire. » [5]

serpent de mer1

Au mois d’août 1746, Lorenz de Ferry, gouverneur de Bergen, adresse au Conseil de la Couronne une déclaration confirmée sous serment par deux matelots : lui, Lorenz de Ferry, a vu près de Molde un serpent de mer de 35 mètres de long, à tête de cheval avec une crinière blanche; il a blessé la bête d’un coup de feu et le monstre, perdant son sang, a plongé et disparu.

En 1808, Maclean, pasteur aux Hébrides, affirme avoir vu son bateau poursuivi par un serpent de mer. La bête aurait eu près de 21 mètres de long. Un rapport circonstancié, datant de la même époque, signale qu’un serpent de mer de trente-six pieds de long a été vu nageant à moins de dix pieds d’un bateau près de Molde. [6]

Au mois d’août 1817, un grand nombre d’Américains du Massachusetts déclarent avoir aperçu un serpent de mer de 20 mètres de long entre Gloucester et le cap Ann. Deux ans plus tard, des centaines de témoins aperçoivent à plusieurs reprises et d’assez près sans doute le même animal nageant entre deux eaux.

Oudemans, on le voit, ne manquait pas de documentation.

Autres exemples

Un rapport signé de plusieurs officiers britanniques fit quelque bruit en 1833 : ils déclaraient avoir vu un serpent de mer devant Halifax. Mais la rencontre qui eut lieu le 6 août 1848 entre Sainte-Hélène et le cap de Bonne-Espérance demeure parmi les plus célèbres en matière de serpent de mer. Les officiers et l’équipage au complet de la corvette anglaise Daedalus aperçurent en plein jour, pendant vingt minutes et à courte distance, un animal totalement déployé, long de 20 mètres environ, dont la tête, semblable à celle d’un phoque, émergeait de 1,30 mètre, et qui nageait le plus paisiblement du monde. Le rapport des hommes du Daedalus sur cette apparition souleva beaucoup de poussière chez les partisans et adversaires du serpent de mer. [7]

Daedalus serpent de mer

Ce n’était certes pas la première fois qu’un fait semblable était signalé, mais on considérait d’ordinaire de tels rapports comme autant de contes à dormir debout. Cette fois, c’était tout l’équipage, capitaine compris, d’un navire de guerre anglais qui témoignait pour l’existence de l’animal fabuleux. De plus, le rapport était assorti de dessins authentiques pris sur le vif. Le hasard voulut que toute une série de navires anglais eussent- alors le privilège de rencontrer le fameux serpent.

Ainsi, en 1848, au large du Portugal, le navire de guerre Plumper aperçut un serpent de mer dont on dessina aussi la silhouette ; ce fut ensuite le tour du Imogen le 30 mars 1856, entre Algoabai et Londres [8]; du vapeur Oshorne, le 2 juillet 1877 au cap Vito en Sicile (seule apparition certaine du serpent de mer en Méditerranée) [9]; puis du City of Baltimore, le 28 janvier 1879, dans le golfe d’Aden [10], etc.

Le serpent de Mer du City of Baltimore

Le capitaine Dravar, commandant la Pauline, affirme même avoir vu, le 8 juillet 1875, un serpent de mer livrer un combat singulier à une baleine autour de laquelle il s’était enroulé. Mais cette histoire paraît bien curieuse et sans doute le digne capitaine en a-t-il rajouté, car il est bien le seul à avoir vu le serpent de mer dans une attitude aussi belliqueuse [11].

La marine allemande ne fut pas en reste. En 1883, l’amiral Hollmann, alors capitaine de vaisseau, commandait la corvette Elisabeth; il nota sur son journal de bord, en date du 26 juillet :

« Cinq heures. Aperçu une troupe de cétacés de tailles diverses et, parmi eux, un animal dont la forme et les mouvements rappelaient ceux des serpents. Sa couleur était blanchâtre et il leva la tête et le cou de dix à dix-huit pieds au-dessus de l’eau, tandis que le reste du corps ondulait dans les vagues. » L’événement eut lieu à proximité de la côte occidentale de l’Afrique, au large de Libreville. L’un des officiers de l'Elisabeth observa la bête inconnue pendant vingt bonnes minutes à l'aide de ses jumelles et publia par la suite le résultat de ses observations dans une gazette : l’animal était long de cinquante à soixante-dix pieds, il avait la tête étroite et pointue et une double queue noire et blanche de quelque vingt pieds de long. Et le marin-reporter de conclure : « Nous autres, marins, qui avons vu de nos yeux l’animal, sommes désormais certains que le serpent de mer de la légende est bel et bien une réalité. » [12]

Les officiers de marine français eurent aussi leur lot de serpents de mer. Le lieutenant de vaisseau Lagrésille, commandant l'Avalante, en aperçut un en juillet 1897 dans la baie d’Along au Tonkin . On revit l'animal dans les mêmes parages le 24 février 1898 et la Société Zoologique de France classa dans ses archives un rapport à ce sujet [13].

Le 25 février 1904, toujours en baie d'Along, le même animal, ou un animal semblable, fut aperçu à plusieurs reprises par le lieutenant de vaisseau L’Eost, commandant la Décidée, et la déclaration de cet officier fut contresignée par tout son équipage

Le 27 juin 1904, le professeur Giard fit un exposé à l’Académie des Sciences sur les observations effectuées en baie d'Along : il exprima l'avis qu'il s'agissait sans doute de quelque saurien de l’époque tertiaire, peut-être d’un ichtyosaure [14].

La Société Zoologique de Londres reçut de son côté en 1906 une communication signée de deux naturalistes qui signalaient que, le 2 décembre 1905, croisant au large des côtes brésiliennes sur le yacht Valhalla, ils avaient aperçu, non loin de Para, par sept degrés quatre minutes de latitude sud et trente-quatre degrés vingt minutes de longitude ouest, un serpent de mer dont ils avaient pu dessiner la silhouette. L’animal était long de 6 à 8 mètres, sa tête ressemblait à celle d'une tortue, sa nageoire dorsale était de grandes dimensions et son cou mesurait plus de 2 mètres : tel quel, il rappelait beaucoup l’animal aperçu par le Daedalus. [15]

Oudemans avait à tout hasard gratifié la bête si discutée d'un nom savant : « Megophias megophias ». Le serpent de mer entrait ainsi par la grande porte dans la zoologie officielle. Et lorsque, le 26 avril 1907, les officiers, l'équipage et les passagers au complet du paquebot Campania, de la « Cunard Line », aperçurent à plusieurs reprises, à moins de cent pieds de distance, près des côtes d’Irlande, un serpent de mer dont la tête  et la queue émergeaient de l’eau à une distance de quatre-vingt-dix pieds l'une de l’autre, les sceptiques furent pratiquement réduits au silence [16]. On admit désormais l’existence de tels monstres marins.

La guerre de 1914-1918 n’épargna pas les serpents de mer. Des commandants de sous-marins allemands signalèrent que des explosions particulièrement fortes avaient fait remonter des profondeurs de l’océan des monstres marins ressemblant à des serpents de mer [17].

Le 23 avril 1928, un monstre fut aperçu au Cap Guardafui. Auparavant, en 1920, un vice-amiral anglais, naviguant à bord du Caesar entre l’Irlande et l’île de Man, vit lui aussi une espèce de phoque monstrueux dont la tête émergeait de l’eau à une grande hauteur [18].

coup456Tout scepticisme n’avait cependant pas désarmé. On objectait généralement qu’il était impossible qu’un monstre marin d’aussi grande taille n’eût jamais été capturé ou trouvé mort sur quelque rivage où la mer l’aurait rejeté.

Mais on connaît plus d’un exemple de monstres marins longtemps contestés jusqu’au moment où un fait nouveau vient en confirmer l’existence une fois pour toutes. C’est ainsi que les krakens appartinrent longtemps au domaine fabuleux : ces bêtes géantes, dont les immenses bras font chavirer les navires et qui peuvent être si dangereuses pour l’homme, n’avaient jamais pu, mortes ou vives, être capturées. Il y avait beau temps que les krakens avaient rejoint les dragons du Moyen Age quand, le 30 novembre 1861, un bateau de pêche, l'Alecton, s’empara d’une pieuvre géante au large de Ténériffe : l’animal avait près de 6 mètres et ressemblait absolument aux krakens des vieilles légendes. Ses bras avaient bel et bien plusieurs mètres et il pesait dans les quarante quintaux [19].

Depuis lors, d’autres monstres semblables ont été aperçus et capturés et l’on sait aujourd’hui que les krakens ne sont pas les produits de la seule imagination des marins d’autrefois. De même, certaines créatures marines, hier innombrables, n’existent pour ainsi dire plus aujourd’hui. C’est pourquoi le serpent de mer a pu fort bien échapper jusqu’à présent aux recherches de l’homme. N’a-t-on pas en 1938, péché vivant près des côtes d’Afrique du Sud un poisson connu seulement des paléontologues et dont l’espèce était considérée comme éteinte depuis des millions d’années? [20]

Il est d’ailleurs faux de dire qu’on n’a jamais pu approcher de cadavres de serpents de mer. En 1808, la dépouille d’un étrange monstre marin, d’une espèce inconnue, fut rejetée par les vagues sur une plage de l’île Stronsay, du groupe des Orkney : 16,8 m de long, une queue effilée, trois paires de nageoires et une longue crête dorsale, telles étaient les caractéristiques de cet animal dont on ne sait rien de plus [21].

Tous les récits de serpents de mer ne sont certes pas à prendre pour argent comptant. Dans beaucoup de cas, on a confondu, de la meilleure foi du monde, le fameux serpent avec de simples anguilles de mer, d’innocentes baleines ou d’anonymes requins. Mais ces confusions sont finalement peu nombreuses. Elles ne sauraient faire oublier les apparitions de monstres dressant leur cou interminable au-dessus des flots, pas plus que les observations scientifiques des savants.

La légende du serpent de mer s’est gardée une solide place dans les classeurs des cryptozoologues, bien que les savants de nos jours publient de moins en moins ce genre de nouvelles, tant elles sont discréditées dans l’opinion publique.

Notes :

  • [1] Histoire Universelle, Diodore de Sicile, Livre III.
  • [2] Histoire des animaux d'Aristote, liv. VIII, chap. XXVII. 8 : « En Libye, les serpents sont, à ce qu'on rapporte, d'une grosseur dont ou ne peut se faire une idée. Des navigateurs prétendent avoir trouvé dans ces parages, où ils avaient abordé, de nombreux squelettes de boeufs, qui, évidemment, avaient été dévorés par des serpents; et que remontés dans leur barque, ils y avaient été poursuivis par ces serpents, qui avaient précipité quelques matelots dans la mer, en renversant le canot. » (trad. Jules Barthélemy-Saint Hilaire, t. III, Paris, Hachette, 1883, p. 118.)
  • [3] Periplus maris Erythraei, 38, 55. Voy. égal. Christophe Cusset : « Y-a-t-il une curiosité animalière dans le Périple de la Mer Érythrée ? », in Topoi, nº 7, 1997, pp. 656-657.
  • [4] Lionel Casson, dans sa traduction du Periplus Maris Erythraei (Princeton, 1986, p. 187-188), signale les observations de Carstein Niebuhr et de Louis de Grandpré.
  • [5] Continuation af relationerne betreffende den grønlandske missions tilstand og beskaffenhed, : forfattet i form af en journal fra anno 1734 til 1740. Paul Egede. Nils Egede, Kjøbenhavn, 1741.
  • [6] A Journal of Natural Philosophy, Chemistry, and the Arts, Londres, 1809, p. 158.
  • [7] Voir l'article en ligne « Créature de l'H.M.S. Dædalus » du site Paranormal-encyclopedie.com
  • [8] The Great Sea-serpent, A. C. Oudemans, E. J. Brill, 1892, pp. 303-305. Voy. égal. The Illustrated London News, 3 mai 1856.
  • [9] A. C. Oudemans, op. cit., pp. 345-356.
  • [10] A. C. Oudemans, op. cit., pp. 356-359.
  • [11] A. C. Oudemans, op. cit., pp. 329-340.
  • [12] Dr. R. Henning : « Das Problem der grossen Seeschlange », in Berlin weekly Daheim (1906) Nº. 49. Egal. Natur und Museum, Vol. 64, 1934, p. 81.
  • [13] G.E. Racovitza : « Note sur le grand Serpent de mer Megophias Megophias (Rafinesque). A propos d'une observation de M. Lagrésille faite en 1898 dans les mers du Tonkin. », in  Bulletin de la Société zoologique de France, nº28, 1903, pp. 11-29.
  • [14] M.-G. Poncelet : « Subsiste-t'il des représentants vivants des séries animales fossiles ? », in Bulletin de la Société préhistorique de France, Vol. 33, 1936, p. 506.
  • [15] Three voyages of a naturalist (...), M. J. Nicoll, London, 1909, pp. 21-26.
  • [16] The New York Times, 11 juin 1907, p. 7.
  • [17] http://blogs.forteana.org/node/93
  • [18] The Quarterly Review, Vol. 256, Londres, 1931, p.241.
  • [19] Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, Vol. 53, 1861, pp. 464-465.
  • [20] https://fr.wikipedia.org/wiki/Coelacanthe
  • [21]  https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%AAte_de_Stronsay
  • [22] Les grandes énigmes de l'univers, Richard Hennig, 1976, p. 247.

Bibliographie :

  • Les grandes énigmes de l'univers, Richard Hennig, 1976.
  • The Great Sea-serpent, Anthonie Cornelis Oudemans, E. J. Brill, 1892.
  • Dans le sillage des Monstres marins, Bernard Heuvelmans, Famot, 1976.
  • Le grand serpent de-mer: le probleme zoologique et sa solution, Bernard Heuvelmans, Plon, 1975.

Table des illustrations :

  • 1) Le serpent de mer de Bergen, décrit par Erik Pontoppidan, 1755.
  • 2) Diodore de Sicile
  • 3) Carte d'Abraham Ortelius  (XVIe siècle) reprenant les toponymes cités dans le Périple de la mer Érythrée.
  • 4) Représentation du Serpent de Mer décrit par Olaüs Magnus sur la Carta Marina.
  • 5) A. C. Oudemans.
  • 6) Le serpent de mer d’après la description de Paul Egede, illustration du  « The Naturalist's Library », par Sir William Jardine, Ichthyology, Vol. VI, 1846.
  • 7) Illustration de la rencontre entre le H.M.S. Daedalus et le serpent de mer. The Illustrated London News, Volume 13, 1848.
  • 8) La créature du City of Baltimore. Illustration du The Graphic, 19 Avril 1879.
  • 9) Extrait de L'Ouest-Éclair, du 16-07-1922

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