Polynésiens et Pascuans : la navigation dans le sang et l'esprit

Après les Phéniciens, les Polynésiens étaient sans doute les plus grands navigateurs de l'Histoire. Sur leurs radeaux ou leurs pirogues à double coques, ils ont entrepris des expéditions marines dignes d’admiration.

Ils ne sont pas seulement allés d'île en île, ils ont aussi parcouru d'énormes distances, qui ne leur permettaient pas de voir la côte pendant des semaines et des mois. C'est un fait prouvé qu'ils couvraient parfois des parcours de 5 000 kilomètres !

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On frissonne à la pensée de ces petites embarcations qui voyageaient parfois sur les abîmes, de 4300 mètres de moyenne, de l'océan Pacifique, et dont l'équipage ne se nourrissait que de fruits de mer, de poissons et d'eau de pluie.

Ils connaissaient tous les récifs, tous les courants, tous les ressacs, tous les vents. Leurs connaissances astronomiques étaient si poussées qu'ils savaient calculer la dérive provoquée par des courants maritimes.

Les habitants des Marshall ont sans doute dressé les premières cartes maritimes, pourvues d'annotations, pour la navigation à la voile. Leurs pirogues à doubles coques ou à balanciers étaient rapides et maniables. Le savant Herbert Tischner (1906-1984), spécialiste de la culture polynésienne, remarque à ce propos que les caravelles des explorateurs européens étaient, en comparaison, des bateaux « lourds, lents et indocile ».

Les pirogues doubles des Polynésiens avaient souvent de 30 à 40 m de long, et pouvaient contenir entre 200 et 300 hommes. Les Mélanésiens et les Micronésiens construisaient également de tels  « géants des océans » .

Les Mélanésiens ont eux aussi entrepris de grandes expéditions maritimes. Ainsi, on sait que les indigènes de Manokwari, peu au-dessous de l'équateur, allaient de la Nouvelle-Guinée occidentale jusqu'à Ternate, dans les Moluques, à bord de leurs bateaux à voiles... 800 kilomètres!

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Les habitants des îles Chatham dans le Pacifique Sud se rendaient vraisemblablement à bord de radeaux jusqu'en Nouvelle-Guinée. Il faut se souvenir que ces « Miriori » ne se servaient que de radeaux faits de tiges de lin liés en bottes et assemblées par un cadre de bois. Le trajet jusqu'en Nouvelle-Guinée était une belle performance sur une embarcation aussi fragile, car il y a 400 km entre les deux îles.

Des connaissances géographiques énigmatiques

L'explorateur britannique James Cook, lors de son premier voyage en 1769, prit à son bord Tupaia, un prêtre de Raiatea (îles Sous-le-Vent . Polynésie française). Bien qu'il n'ait lui-même voyagé qu'à l'intérieur de l'archipel de la Société, Tupaia fut capable de nommer cent trente îles et d'en replacer soixante-quatorze sur une carte : à l'ouest de la Société le doute subsiste pour les Fidji, les Samoa et les Tonga mais à l'est, on reconnaît sûrement, sur la « carte de Tupaia », une partie des Marquises et des Tuamotu.

Tupaia ignorait Hawaii (alors inconnue de J. Cook), l'île de Pâques et la Nouvelle-Zélande. Tout au long de ses voyages avec Cook, au grand étonnement de tous, Tupaia fut capable de désigner la direction de l'archipel de la Société, mais il n'expliqua jamais comment il procédait.

Cook écrivit à son propos:

« Il sait plus de choses sur la géographie des îles situées dans ces mers, que n’importe qui d’autre que nous ayons rencontré. »

L'île de Pâques

Aujourd'hui on réussit à établir l'origine de beaucoup de peuples en examinant leur groupe sanguin. Vu sous cet angle, les Pascuans sont des Polynésiens. On note cependant que leurs crânes sont plus allongés.

Il est probable qu'ils se sont mélangés avec les Mélanésiens avant leur arrivée dans l'île sans nom (l'Île de Pâques)... sans nom ? Comme l'île est isolée en plein océan Pacifique, elle se trouve à 3 700 km des côtes chiliennes et à 4 000 km de Tahiti, l’île habitée la plus proche étant l'île Pitcairn à plus de 2 000 km à l’ouest, comme elle est entourée d'immenses étendues liquides, les insulaires pensaient en toute logique qu'ils étaient seuls au monde et ne donnaient jamais de nom à leur pays. Les noms sont là pour établir des distinctions. Quand on se croit l'habitant de l'unique île de l'Océan, il est inutile de lui trouver un nom...

Rapa-nui est un nom récent et Te-pito-te-henua a été popularisé par Alphonse Pinart dans son Voyage à l'Île de Pâques (1877), qui a interprété ce toponyme (désignant, selon la tradition orale, le centre de l'île) comme étant le nom de l'île et comme signifiant le « nombril du monde » .

451919Un siècle plus tôt, Jean-François La Pérouse, illustre navigateur qui explora l'océan Pacifique, débarqua sur l’île en 1786, il étudia en détail les moeurs et habitudes des Pascuans. Ses observations sont d'autant plus précieuses que, à son époque, certaines traditions ancestrales de ce peuple mystérieux étaient encore bien vivantes. La Pérouse raconte que les traits des habitants de l'île ne trahissaient jamais la moindre émotion.

Il trouva les insulaires curieux, éveillés, intéressés par tout ce qui se rapporte à la navigation. Ses bateaux furent arpentés par les indigènes qui examinèrent avec attention et compétence des cordages, l'ancre, la boussole, le gouvernail.

Un sens instinctif de la navigation

On ignore ce que sont devenus les douze hommes et dix femmes qu'un capitaine américain inhumain et brutal enleva en 1805 sur son bateau Nancy. Il fit enchaîner les vingt-deux Pascuans au fond de la cale avec l'intention de les conduire dans l’île Mas Afuera, à 600 km à l'ouest de Santiago, capitale du Chili, et de les y vendre comme esclave.

L'habile capitaine n'avait pas tenu compte du fait que les insulaires étaient - à cette époque au moins - d'excellents nageurs. Lorsqu'il les fit venir sur le pont, à trois journées de voyage de l’île de Pâques, hommes et femmes sautèrent tous à l'Océan.

L'Américain pensant que les insulaires renonceraient bientôt à leur tentative insensée de regagner leur île à la nage, donna l'ordre de mettre en panne. En vain. Les captifs ne songèrent pas à revenir.

Une observation des Américains mérite d'être rapportée ici. Les Pascuans eurent une discussion sur la direction à prendre. Après quoi, un groupe se dirigea vers l'île de Pâques alors qu'un autre s'éloigna vers le nord. Le capitaine fit mettre à l'eau des embarcations pour reprendre sa « marchandise » ; mais les insulaires plongèrent avec tant d'adresse qu'il était impossible de les reprendre. On ignore si les fugitifs ont jamais atteint une terre ferme ; on suppose qu'ils se sont noyés.

Bibliographie :

  • Civilisations mystérieuses, Ivar Lissner, éd. Robert Laffont, 1976.
  • Les Civilisations polynésiennes, R. C. Suggs,  La Table Ronde, Paris, 1962.
  • Les Polynésiens: leur origine, leurs migrations, leur langage. Ludovic Martinet, E. Leroux, Paris, 1880.
  • Le monde polynésien, Henri Mager, Paris, 1902.
  • « Polynésiens et Océanautes, le peuplement de l'Océanie », par Michel Orliac.
  • Geneviève et Georges Boulinier : « Les Polynésiens et la navigation astronomique », in Journal de la Société des océanistes, n°36, tome 28, 1972. pp. 275-284.
  • Paul Adam : « La culture polynésienne et la navigation », in Journal de la Société des océanistes, n°74-75, tome 38, 1982, pp. 139-142.
  • The Journals of Captain Cook, Penguin Classics; Abridged edition (2000).
  • Voyage de la Pérouse autour du monde, L. A. Milet-Mureau, t. II, chap. IV, Paris, 1797.

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